Douleur chronique et blessures d'enfance
Comment les traumatismes de l’enfance influencent le système nerveux et la perception de la douleur
Certains parcours de douleur semblent échapper à toute logique médicale. On passe d'examens en diagnostics, sans explication claire. Et pourtant, la douleur est bien là. Persistante. Parfois invalidante.
Et si l'origine était ailleurs ?
Pas dans un muscle, un nerf ou une articulation, mais dans quelque chose de plus ancien et de plus silencieux : les mémoires d’un corps qui porte la trace d'épreuves passées.
La recherche scientifique éclaire de plus en plus le rôle central des expériences précoces de vie, notamment les traumatismes de l’enfance, dans la genèse et la persistance de la douleur chronique à l’âge adulte.
Les ACEs : quand l’enfance imprime sa marque sur le corps
Les ACEs (Adverse Childhood Experiences, ou expériences défavorables durant l’enfance) regroupent différents types d’abus (physique, émotionnel, sexuel), de négligence (physique, émotionnelle) et de dysfonctionnements familiaux (violence domestique, addictions, maladie mentale d’un parent, etc.)
L’étude fondatrice menée par le CDC et Kaiser Permanente auprès de plus de 17 000 adultes a révélé que plus ces expériences s’accumulent, plus le risque de développer des maladies chroniques, des troubles psychiques et des douleurs chroniques augmente.
Mais les dernières synthèses vont plus loin. Elles montrent que la négligence émotionnelle et les abus émotionnels ont un impact encore plus marqué sur la chronicité de la douleur que les violences physiques ou sexuelles. Le manque de validation, d’écoute ou de soutien s’avère être un facteur de risque majeur pour la douleur chronique parce que ces blessures, invisibles, affectent en profondeur notre rapport au stress, au corps, à nous-mêmes.
Un système nerveux figé dans l’alerte
Les traumatismes précoces viennent perturber les mécanismes de régulation du stress. Le système nerveux s'adapte en restant en hypervigilance.
On observe ainsi une perturbation de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HPA) qui régule la réponse au stress et la modulation de la douleur. Cette perturbation peut entraîner une hypersensibilité à la douleur.
Des changements sont observés dans les régions cérébrales impliquées dans la régulation des émotions et de la douleur (amygdale, cortex préfrontal, etc.).
Les traumatismes de l’enfance favorisent la dysrégulation émotionnelle, l’anxiété, la tendance à catastrophiser la douleur et l’évitement, autant de facteurs connus pour entretenir et aggraver la douleur chronique (modèle de la peur-évitement)
À l’âge adulte, même si ce qui était à l’origine du danger a disparu, le corps lui, n'a jamais été rassuré. La douleur devient alors le langage corporel de cette insécurité enfouie, comme le formule l’une de mes clientes lorsqu’elle dit “J’ai le sentiment d’avoir été en état l’alerte toute ma vie. Que c’est le seul état que mon corps connaît”.
Pourquoi ce regard change la donne ?
Prendre conscience du lien entre douleur chronique et traumatismes de l’enfance, c’est ouvrir la porte à des solutions qui vont bien au-delà de la simple « gestion de la douleur ». Cela signifie qu’il est possible de reconstruire, petit à petit, ce sentiment de sécurité intérieure qui a tant manqué.
Grâce à la plasticité cérébrale, notre cerveau peut se reprogrammer et s’apaiser. De nouvelles approches thérapeutiques, centrées sur la régulation émotionnelle et la prise en compte du vécu traumatique, offrent enfin une réponse à l’errance médicale. Pour celles et ceux qui souffrent, c’est aussi un immense soulagement : leur douleur, physique et émotionnelle, est enfin reconnue et entendue, même sans cause visible sur une radio ou un scanner.
Derrière chaque douleur chronique, il y a une histoire unique qui mérite d’être écoutée. Et, surtout, un chemin de réparation à tracer, pas à pas, vers plus de liberté et de douceur.